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bourse du travail

  • Voyage au bout de la nuit

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    Franck m'avait proposé de me prêter une bombe lacrymo, mais je m'étais dit que s'y l'on me fouillait à l'entrée j'aurais l'air malin avec ce truc en poche qu'on me confisquerait certainement.

    Alors malgré une certaine appréhension quant à ce que j'allais rencontrer là, j'ai décliné sa proposition, je verrais bien.

    Tiens qu'est il devenu Franck ?

    Il s'est peut être inscrit sur "Copains d'avant" ?

    Et sa 2 CV grise dans quelle casse a t elle fini ??

    Fume t il encore des gitanes ou ce genre d'exotisme adolescent l'a t il quitté depuis longtemps ?

    Le gars de l'association Attaque Sonore m'avais dit que le concert allait commencer vers 19 heures 30, 20 heures.

    Je m'étais dit qu'il fallait que je parte de Valence vers 18 heures, une heure de route jusqu'à Lyon et puis un peu de marche depuis la gare de Perrache jusqu'à la Bourse du Travail, je devrais être sur place dans les temps.

    J'avais beau avoir obtenu mon permis de conduire 2 semaines plus tôt, je n'avais évidement pas de voiture, le Corail me tendait donc ses bras oranges, enfin les fauteuils étaient oranges du moins dans mon souvenir.

    Mon dernier cours du vendredi se terminait à 17 heures, ensuite direction la gare avec mon sac US bardé de noms des groupes (Ludwig Von 88, The Cure, Bérurier Noir...) qui constituaient alors ma carapace, mon identité fièrement exhibée à destination des autres, ceux qui écoutaient la radio ou le Top 50 et ses artistes dans le rang.

    Toute cette organisation était motivée par le fait que lesdits Béruriers Noirs passaient à Lyon et qu'il m'était impossible d'imaginer que je puisse rater ce groupe qui mettait du désordre dans ma vie depuis 2 ans, dont j'écoutais la musique du soir au matin sur des musicassettes, pour certaines à bout de souffle, pour le plus grand plaisir de ma maman qui devait à l'époque connaître par coeur les paroles de tous les titres d'Abracadaboum à son corps défendant.

    Une fois arrivé à Lyon une question se posait : que faire de mon sac US ?

    J'allais pas me pointer sur place avec mes livres de cours et mon cahier de texte, pour passer pour un gros naze pour mon premier concert il n'y avait pas mieux. Pourquoi pas commencer mes devoirs entre 2 groupes hein ?

    Les plus jeunes de mes lecteurs ne le savent peut être pas mais les gares françaises possédaient à l'époque des casiers de consigne où l'on pouvait laisser ses affaires pendant un temps indéterminé. Bon le problème est que certains y laissaient aussi des bombes, donc les consignes en gare sont certainement maintenant des curiosités au même titre que les cours ronéotypés du lycée qui sentaient l'alcool.

    Une fois mon sac US livré à la pénombre discrète d'un casier, la marche vers la salle de concert commence.

    Bon sur le plan Blay c'était tout droit et à gauche au bout d'un moment, sauf que la ligne droite était bigrement longue.

    Je ne rencontre pas grand monde, nous sommes en janvier il fait donc nuit depuis longtemps, puis j'arrive à la Bourse du Travail.

    Il y a plein de monde dehors, les Bérus sont alors très populaires, des groupes de punks à crêtes, des gothiques, quelques red skins, bref tout un monde qui aujourd'hui ne se rencontre plus du tout.

    Je rentre avec ma place que j'avais préachetée plusieurs semaines à l'avance pour être sûr de mon coup.

    Après tout est un peu plus flou, aucun souvenir de Haine Brigade ou de Sourire Kabyle.

    Les Bérus c'est plus clair un son minimaliste, beaucoup de mise en scène, de costumes, des textes repris par toute la salle, je passe le concert juché sur les accoudoirs d'un fauteuil (la salle s'apparente à un théatre, avec des tribunes et des fauteuils, tout à fait adaptée à ce type de groupe donc, j'y verrais Camille 20 ans plus tard c'était plus feutré), le choc de voir une foule, une musique forte, des artistes en chair et en os.

    Le retour vers Perrache après minuit, seul, dans le froid de janvier est rude.

    J'erre dans la gare avec mon pote le sac US, je trouve un train, je m'y endors et me réveille en gare de Valence, je saute sur le quai à temps avant de me retrouver à Nimes.

    J'ai presque 19 ans en ce samedi samedi 30 janvier 1988, je suis en terminale et je viens de passer un moment majeur de ma vie.

    Je me demande 20 ans plus tard comment ma mère a pu accepter une pareille équipée, j'étais certes majeur, mais elle n'a rien dit cachant certainement bien son désaccord et son angoisse.

    Puis si mes propres enfants un jour sont dans une situation similaire quelle sera ma réaction, après tant d'années à entendre répêter le mot "insécurité" ?