Je prends un bout de saucisson, dans la pièce du black metal retenti (une batterie étouffée, la voix crispante du chanteur, les pochettes ésotériques, les invocations à de vieux démons).
Je n’aime pas cette musique mais je laisse mes camarades, majoritaires, faire leur crise de puberté à 30 ans bien tassé.
Sur les murs des rangées de CD sont sagement alignés, témoin discrets du temps qui passe et parfois de lubies musicales passagères d’une époque dont nous n’avons pas le courage de nous débarrasser (ça permet au passage à tous périodiquement de railler les goûts des autres et d’être ainsi sûr de son bon goût personnel).
La table est pleine de verres et de diverses nourritures furieusement déséquilibrées que la pénombre de la pièce empêche de bien distinguer, l’atmosphère est saturée de fumée de clopes.
La conversation tourne, dans un premier temps, autour de nos derniers achats de CD, des dernières news, sorties ciné ou littérature qui constituent l’armature de notre micro monde.
Un œil extérieur ne comprendrait rien à nos propos, maintenant noyés par des reprises débile trouvées sur le net.
En effet des années de ce type d’échange ont crée des codes, des figures de style propres au groupe. Rien ni personne n’est vraiment sacré, on a patiemment recrée une personnalité à chaque artiste dont nous parlons à partir d’interview lues deci delà, de souvenirs déformés par le temps ou d’histoire vaguement entendues (et certainement fausses).
La place d’une fille dans ses moments là est difficile (et souvent vide aussi). Soit on fini par parler d’autre chose, soit nous sommes entre nous et les choses continuent à qui mieux mieux.
L’alcool aidant ensuite on s’emballe souvent à un moment donné de la soirée autour de 2 ou 3 titres déclarés « imparables » que tout le monde idolâtre et que l’on écoute alors fort.
Ensuite on change souvent de direction pour tourner autour de sujets de société, de son travail ou des difficiles relations de couple de certains. Les propos sont plus vifs, les positions plus tranchées, le consensus moins mou, mais des années de discussion à bâtons rompus ont souvent balisées le terrain et nous n’avons pas forcément envie d’aller au clash non plus, les énormes engueulades sont maintenant rares.
Entre temps on est passé par la case Beck, puis Aerogramme et Portishead .
La soirée nous échappe toujours vers minuit/1 heure du matin, des silences se glissent dans la conversation, auparavant saturée par les propos de chacun, comme des gamins excités dans une cour de récré.
Divers pistes s’offrent alors à nous : regarder un film ou des vidéos quelconques, lancer un jeu PS2. Parfois un sujet nous anime tellement qu’il nous fait la soirée entière.
Nous pourrions aussi sortir pour aller voir ailleurs ce qui (ne) se passe (pas), mais personne ne propose l’idée qui de toutes les façons serait suivie d’un long silence éloquent.
Car d’une part car faire de la bagnole pour relancer d’une bière la conversation dans un bar ne rimerait pas vraiment à grand chose (nous l’avons assez fait à une époque pour savoir que rien n’en sortira) et d’autre part nous ne voulons plus être dévisagés par les ¾ d’une boite qui se demande ce qu’à nos âges nous pouvons bien foutre là, ni subir une musique que de toutes les façons nous ne comprenons plus.
Alors comme bien souvent nous choisissons l’autre hypothèse : nous nous séparons sans Force 4 panache.