Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Ma vie en tranches (mais sans miettes) - Page 2

  • A passage in time

    55.jpg

    Dano Cobjuc

     

    C’est assez déroutant quant au détour d’une phrase, votre mère, qui a dépassé les 8 décennies, vous annonce brusquement qu’elle est en train de faire du tri chez elle pour que l’on n’ait pas trop de choses à ranger au moment de son décès, qu’elle imagine certainement prochain.

     

    Elle nous parle de factures, de talons de chèques, de lettres reçues pendant la guerre, de cartes postales collectionnées toutes ces années ou envoyées par un tas de gens aujourd’hui morts ou oubliés, le tout empilé dans une armoire à l’abri du temps et de la lumière.

     

    Bref de petits bouts de vie qui vont s’en aller dans un grand néant en plastique.

     

    Des petits bouts de vie connus d’elle seule qui une fois disparue n’auront alors plus de sens pour personne.

     

    J’ai déjà imaginé ces moments où vous devez affronter la maison ou l’appartement pour le vider ou le ranger.

     

    Seuls certains visages sur des photos Kodak carrées ou un livre d’enfance tombé dans l’ombre d’une penderie m’évoqueront bien quelque chose.

     

    J’userai alors ma mémoire à essayer de me souvenir, un flash remontera peut être alors à la surface, un sourire béat s’affichera alors sur mes lèvres, je serais à ce moment là connecté pendant quelques secondes à un moment oublié de ma vie puis rapidement tout cessera, le fil se rompra.

     

    Je ne sais trop quoi penser de ces quelques phrases lancées dans la voiture qui l’emmenait fêter les 3 ans de son petit fils, qui aura réussi à nous concocter un weekend tout naze à base d’énervements, de caprice et de hurlements divers et variés lui habituellement si calme le petit chéri……

     

    Un pressentiment ? L’aveu anodin d’une femme organisée ?

     

    Le futur ne s'annonce en tout cas pas prometteur.

  • White wedding

    20040828_mariage.jpg

     

    On écrit des mots, puis ensuite on les tord dans tous les sens pour leur faire suivre le chemin que l'on voudrait, pour qu'au final on trouve devant nos yeux un texte qui ressemble à quelque chose de lisible.

    C'est un exercice parfois difficile, mais les mots, les lettres sont une matière malléable, adaptable.

    Etre assis sur une chaise en plastique, dans une superbe salle voutée d'un ancien dépôt de grains, lors d'un vin d'honneur de mariage, est par contre une expérience plus délicate. "Vin d'honneur" dites vous ? Oui « apéritif » ça a un côté plus connoté, plus négatif, bien moins chic. Mais en fait c'est la même chose boire d'un côté du pastis ou de l'autre du champagne et voir au final la discussion vite dériver sur les bas côtés et se  prendre des platanes de face.

    Assis donc sur une chaise à attendre que le temps passe, en se disant qu'à cet instant on serait mieux n'importe où ailleurs, est là une expérience plus délicate, presque mystique, qui vous permet de presque réellement « voir » le temps qui s'écoule, l'épaisseur des minutes, le relief des secondes.

    Comme tous les autres vous videz des coupes de champagne tout en surveillant légèrement votre progéniture qui coure en tous sens, même pas frappée par la beauté de ces arches en ogives datant du 15 ème siècle.

    Sinon le reste ne fut que convenances sociales et effervescence familiale pour ne pas rater le « plus beau jour de sa vie ».

    Photos dans un parc, mariés qui essaient de consacrer plus de 10 secondes à chaque invité tout en leur laissant l'impression que l'on a eu le privilège d'échanger 2 mots avec eux, oncles en costumes de 1984, prix oublié sous des chaussures achetées le matin même, maire officiant à la chaîne, klaxons crispants, enfants surexcités, famille éparpillée se retrouvant en ce type d'occasion uniquement et se disant qu'il faudrait que l'on se revoit bientôt (tout en sachant que ce ne sera pas le cas) église des années 60 sinistre et décrépie pour accueillir l'union d'un couple qui n'ira plus à la messe ensuite, mais qui par ailleurs fera baptiser ses enfants par habitude, dans quelques années.

    2 Frangins aux cheveux blancs (clavier et basse), accompagnés d'un mercenaire à la guitare, ont essayé de rythmer l'homélie du prêtre en chantant de naïves chansons à la gloire du Christ. Cette tentative n'empêchera manifestement pas l'hémorragie des fidèles hors du royaume de Dieu, elle pourrait même l'encourager.

    Le vin d'honneur fut ensuite suivi d'une migration vers le restaurant où fut servit un peu plus de champagne, histoire de bien faire passer dans le rouge les derniers récalcitrants. Le repas fut servit tardivement, les enfants ne mangèrent évidement rien, plus occupés, pour les plus petits, à continuer à courir après on ne sait quoi et pour les plus grands à jouer à Mario Kart en réseau.

    Le lendemain rebelote dans une salle des fêtes. Les costumes avaient été jetés aux orties, le pastis et le whisky étaient de sortie, les enfants continuaient à s'agiter sur la pelouse, increvables, insensibles à la fatigue qui se lisait elle sur les visages des grands.

    L'église voisine indiquait 16 heures, il était grand temps de rentrer.

    Qui a dit fuir ?

  • L'appartement

     

     

    1.jpg

    David Roessli

     

    Une des choses les plus stupides que j'ai faites dans ma vie s'est déroulée là.

    Philippe venait juste d'acheter son appartement, il n'était même pas meublé et nous y passions une première soirée.

    Après avoir ingurgité diverses boissons alcoolisées nous nous mîmes dans l'idée de jouer à la marelle.

    Pour ce faire nous traçâmes sur le sol le schéma de la marelle avec de l'adhésif et nous commençâmes à sauter à pieds joints vers le ciel.

    Puis lassés par cette activité, nous commençâmes à jouer au foot avec une balle de tennis qui traînait dans un coin par je ne sais quel hasard.

    Les coups répétés à 11 heures du soir de la balle contre les murs de l'appartement attirèrent vite les voisins.

    Ceux ci sonnérent, tapèrent à la porte mais nous n'entendions rien, pris dans notre partie devenue cruciale pour la suite du championnat.

    Ils poussérent la porte mal fermée et découvrirent là 5 ou 6 dadais dans la vingtaine, torse nu, suant, courant de partout dans la grande pièce unique.

    Évidement cette entrée calma vite nos ardeurs footballistiques et nous nous excusâmes platement.

    Ce fut ensuite 15 ans de soirées, d'apéros, de visions de films plus ou moins impérissables ("Street Trash" en tête), de riffs de guitare écornés, de milliers de titres de Johnny Lee Hooker, Madonna, Jesus Lizard ou Darkthrone, de repas à base de pates, de litres de café et d'alcool de toutes sortes, d'hectares de tabac fumés qui se succédèrent là.

    Nous y refirent le monde à notre manière, à coup de virulentes discussions, d'explications plus ou moins foireuses, de théories fumantes, de départ tonitruants.

    Des enfants commencèrent à marcher sur ce carrelage peu souvent lavé (il ne valait mieux pas laisser tomber ses chips).

    L'influence d'une fille se fit sentir les derniers temps dans la décoration qui de têtes de mort et de canettes de bière devint plus Ikéesque à base de bougies et de canapé en rotin.

    Une machine à laver fit même son apparition, remplaçant en cela les corbeilles de linge sale apportées à maman chaque semaine.

    L'influence de la fille ne s'est pas limitée aux tapis.

    Elle habite ailleurs.

    Alors Philippe est partit la rejoindre, dans cet ailleurs moins solitaire, moins masculin, moins à base de centaines de CD's de groupes de black metal (une passion tardive, symbole d'une certaine crise de la trentaine) et de DVD d'horreur (une passion ancienne et jamais démentie).

    Et l'appartement est devenu de plus en plus vide, Philippe de moins en moins visible.

    Puis l'appartement a été mis en vente et vendu.

    Il a été rendu à son silence inaugural, à ses murs nus, qui cachent peut être encore sous la tapisserie ces marques de balle de tennis.

    Un coup d'éponge et bientôt il n'y aura, là, plus rien.

  • Voyage au bout de la nuit

    l_88fe04d76717434a9055505bd4906d2c.jpg

     

    Franck m'avait proposé de me prêter une bombe lacrymo, mais je m'étais dit que s'y l'on me fouillait à l'entrée j'aurais l'air malin avec ce truc en poche qu'on me confisquerait certainement.

    Alors malgré une certaine appréhension quant à ce que j'allais rencontrer là, j'ai décliné sa proposition, je verrais bien.

    Tiens qu'est il devenu Franck ?

    Il s'est peut être inscrit sur "Copains d'avant" ?

    Et sa 2 CV grise dans quelle casse a t elle fini ??

    Fume t il encore des gitanes ou ce genre d'exotisme adolescent l'a t il quitté depuis longtemps ?

    Le gars de l'association Attaque Sonore m'avais dit que le concert allait commencer vers 19 heures 30, 20 heures.

    Je m'étais dit qu'il fallait que je parte de Valence vers 18 heures, une heure de route jusqu'à Lyon et puis un peu de marche depuis la gare de Perrache jusqu'à la Bourse du Travail, je devrais être sur place dans les temps.

    J'avais beau avoir obtenu mon permis de conduire 2 semaines plus tôt, je n'avais évidement pas de voiture, le Corail me tendait donc ses bras oranges, enfin les fauteuils étaient oranges du moins dans mon souvenir.

    Mon dernier cours du vendredi se terminait à 17 heures, ensuite direction la gare avec mon sac US bardé de noms des groupes (Ludwig Von 88, The Cure, Bérurier Noir...) qui constituaient alors ma carapace, mon identité fièrement exhibée à destination des autres, ceux qui écoutaient la radio ou le Top 50 et ses artistes dans le rang.

    Toute cette organisation était motivée par le fait que lesdits Béruriers Noirs passaient à Lyon et qu'il m'était impossible d'imaginer que je puisse rater ce groupe qui mettait du désordre dans ma vie depuis 2 ans, dont j'écoutais la musique du soir au matin sur des musicassettes, pour certaines à bout de souffle, pour le plus grand plaisir de ma maman qui devait à l'époque connaître par coeur les paroles de tous les titres d'Abracadaboum à son corps défendant.

    Une fois arrivé à Lyon une question se posait : que faire de mon sac US ?

    J'allais pas me pointer sur place avec mes livres de cours et mon cahier de texte, pour passer pour un gros naze pour mon premier concert il n'y avait pas mieux. Pourquoi pas commencer mes devoirs entre 2 groupes hein ?

    Les plus jeunes de mes lecteurs ne le savent peut être pas mais les gares françaises possédaient à l'époque des casiers de consigne où l'on pouvait laisser ses affaires pendant un temps indéterminé. Bon le problème est que certains y laissaient aussi des bombes, donc les consignes en gare sont certainement maintenant des curiosités au même titre que les cours ronéotypés du lycée qui sentaient l'alcool.

    Une fois mon sac US livré à la pénombre discrète d'un casier, la marche vers la salle de concert commence.

    Bon sur le plan Blay c'était tout droit et à gauche au bout d'un moment, sauf que la ligne droite était bigrement longue.

    Je ne rencontre pas grand monde, nous sommes en janvier il fait donc nuit depuis longtemps, puis j'arrive à la Bourse du Travail.

    Il y a plein de monde dehors, les Bérus sont alors très populaires, des groupes de punks à crêtes, des gothiques, quelques red skins, bref tout un monde qui aujourd'hui ne se rencontre plus du tout.

    Je rentre avec ma place que j'avais préachetée plusieurs semaines à l'avance pour être sûr de mon coup.

    Après tout est un peu plus flou, aucun souvenir de Haine Brigade ou de Sourire Kabyle.

    Les Bérus c'est plus clair un son minimaliste, beaucoup de mise en scène, de costumes, des textes repris par toute la salle, je passe le concert juché sur les accoudoirs d'un fauteuil (la salle s'apparente à un théatre, avec des tribunes et des fauteuils, tout à fait adaptée à ce type de groupe donc, j'y verrais Camille 20 ans plus tard c'était plus feutré), le choc de voir une foule, une musique forte, des artistes en chair et en os.

    Le retour vers Perrache après minuit, seul, dans le froid de janvier est rude.

    J'erre dans la gare avec mon pote le sac US, je trouve un train, je m'y endors et me réveille en gare de Valence, je saute sur le quai à temps avant de me retrouver à Nimes.

    J'ai presque 19 ans en ce samedi samedi 30 janvier 1988, je suis en terminale et je viens de passer un moment majeur de ma vie.

    Je me demande 20 ans plus tard comment ma mère a pu accepter une pareille équipée, j'étais certes majeur, mais elle n'a rien dit cachant certainement bien son désaccord et son angoisse.

    Puis si mes propres enfants un jour sont dans une situation similaire quelle sera ma réaction, après tant d'années à entendre répêter le mot "insécurité" ?

     

  • Tiroir Ô mon beau tiroir

     

    mepris.jpg

     

     

     

    La tuyauterie est bien tapie derrière une trappe en carrelage un peu fissurée, elle même cachée par un meuble blanc aux angles bleutés du plus bel effet, mais sur le retour

     

     

     

    Elle imagine certainement être à l’abri du monde, royaume de gravats au pays de l’obscurité, laissés là par des ouvriers peu consciencieux, promis à des crise d’arthrose et à une retraite incertaine.

    Tout cet univers se retrouve brusquement à nu, exhibant ses entrailles à 2 parfaits inconnus (soit voir narrateur et un membre de se famille lui doué de ses doigts pour autre chose que de taper sur un clavier) qui éclairent violemment ses coins intimes avec une lampe de poche, pour en prendre possession quelques minutes.

    Il faut faire vite, scier les tuyaux, clipser le nouveau robinet qui va trôner pendant quelques années sur le navire d’émail, fier nouveau roitelet disposé au point culminant d’une surface immaculée lisse comme l’intérieur du cerveau d’un présentateur matinal d’une chaîne de télé shopping.

    L’eau pourra ainsi à nouveau couler, emportant avec elle la mousse d’un produit douche censé nous tonifier à l’aube d’une nouvelle journée qui au final s’avèrera aussi morose que la précédente.

    Le meuble à tiroir et son inséparable pote d’aventure, le lavabo encastré, font ensuite les frais de cette frénésie de changement qui s’abat sur la pauvre salle de bain qui s’était largement assoupie après une bonne décennie de chirasquisme triomphant (oui voter Sarkozy voyez ça a du bon).

    Toujours unis ils vont finir leur vie, comme un vieux couple au fin fond d’une maison de retraite agrée par l’Aide Sociale, dans une benne à ciel ouvert d’une déchetterie périphérique, exposés à la pluie et au froid pour la première fois e leur vie, quand il faisait toujours chaud et humide dans leur habitat naturel.

    Au meuble blanc on lui substitue un autre meuble blanc, mais avec une étagère en plus pour pouvoir y caser plus de trucs inutiles censés rendre les femmes plus belles et les hommes plus sûrs de leur masculinité, en berne depuis la fin du Service Militaire obligatoire.

    Son nouveau copain d’aventure est une vasque en résine (on ne dit plus « lavabo » voyons quelle banalité), large comme l’avenue Poutine à Grozny, où on pourrait baigner une lignée de triplés.

    Pour finir le mur voit son habituel rangement pharmaceutique disparaître et obtenir une promotion sous la forme de 2 fiers meubles suspendus, coordonnés avec le meuble de la vasque, qui n’en demandait pas tant.

    Lors de leurs errances le long d’interminables rayons de surfaces de bricolage, les maîtres des lieux n’avaient pas pleinement évalué la disposition desdits meubles et surtout de leurs tiroirs.

    Si bien qu’une fois disposés ceux ci se retrouvèrent à environ 2 mètres de hauteur.

    Dépités les (petits) maîtres des lieux ricanèrent jaunes devant leur bêtise étalée au grand jour et retirèrent prestement les tiroirs chèrement acquis.

    Pour finir ils déchiquetèrent sauvagement les cartons maintenant vides, odieux symboles d’une oppression d’une nouvel âge : le bricolage.